Une fois passées les salutations d’usage, Agnan Kroichvili vous happe dans son univers. La première chose qui frappe, c’est a fébrilité de l’artiste, son impatience à vouloir tout expliquer, tout de suite. On a grimpé deux étages pour se rendre dans un minuscule atelier perchoir éloigné de la furie des hommes. Là, présentation de la technique élaborée par Agnan, 39 ans. Après avoir été archéologue, puis confronté au doute pondant quelques années, la peinture l’ai finalement rattrapé il n’a pu s’y soustraire plus longtemps.
La technique, finalement, importe peu, tellement la vie de l’oeuvre prend le dessus, Mais quand même : le peintre utilise des traces. Celles de rouleaux de peintre en bâtiment, des traces de ficelle trempées dans de la peinture, des traces de papier chiffon imbibées dans de l’encre de Chine, étalées sur du Papier kraft, puis lavées... Ce qui résiste au lavage, alors Kroichvili l’utilisera pour en taire émerger ses visions, son œuvre. Il voit principalement des visages, des personnages. C’est le brassage des peintures qui fait naître des visions », dit il, Des visages apparaissent, je rends visible ce que mes yeux voient. Les formes naissent d’elles-mêmes je me contente de les accompagner. »
Des apparitions
différentes au fur et à mesure des
années qui passent, mais tellement semblables, 10 ans
déjà consacrés à la
peinture ! La peinture, seulement ? Une quête,
plutôt. Mais laquelle? L’homme parle vite. Il lui
faut tout montrer. Sortie de l’atelier. On descend un
étage on entre dans un appartement, une longue galerie
claire sert d’annexe à l’atelier.
Partout, des tableaux, des piles de papier, de documents, des classeurs
rangés, une petite table. Tous ses tableaux, le peintre les
a consignés dans un art-book que l’on consulte
à toute vitesse. L’artiste essaie
d’étayer ses explications, saute des pages,
revient en arrière, se retourne, cherche autre chose, sans
succès, tente d’extraire une toile d’une
vingtaine d’autres posées le long d’un
mur, le rang menace de s’écrouler, il renonce.
Puis si. Nouvelle tentative, acrobaties, voilà
l’oeuvre dont il parle. Le cerveau peine à
enregistrer toutes les données. Agnan Kroichvili est le
créateur et le narrateur d’une oeuvre
considérable : des centaines de tableaux, des
recherches innombrables, toutes consignées, des tableaux
détruits mais soigneusement conservés dans des
« paquets d’art »
(présentés à l’exposition)
dont les morceaux sont réutilisés dans
d’autres œuvres... Tout est consigné,
classé, rangé.
« Mon
terrain de fouille,
c’est la peinture, avoue-t-il. « Je suis
archéologue
de ma propre oeuvre, au fur et à mesure de ma
création». On le croit sans peine le regard
éberlué du soin pris à tout conserver,
Comme pour
se préparer à cette recherche analytique
immédiate
sur ce qui vient d’être créé.
Car Agnan
Kroichvili, au contraire de beaucoup d’autres artistes; est
capable d’expliquer son oeuvre dans les moindres
détails.
Tout est pensé, décortiqué, aucun
geste, bien que
né d’une réelle inspiration,
n’est ensuite
relié au hasard, Tout s’explique donc?
Probablement non,
mais tout tourne autour d’une même obsession. Celle
des
origines, et de l’empreinte que l’on laisse
après
soi. D’où l’utilisation d’une
forme de
calligraphie, celle de ce qu’il appelle la
contre-écriture : des signes impossibles
à
déchiffrer puisqu’ils sortent tout droit de
l’imagination de l’auteur. « Pendant un
an, jour
après jour, j’ai écrit les pages
d’un livre
de contre-écriture (présenté
à l’ex
position de l’Ecomusée de la Bresse
bourguignonne),
désormais inachevé », avoue
l’artiste. Des
signes qui se retrouvent dans bon nombre de ses tableaux. En
évoquant ses lointaines origines géorgiennes son
grand-père,- Galaktion Kroichvili, est arrivé en
France
au début du siècle, installé comme
tailleur
à Châlon-sur-Saône — Agnan
évoque une
recherche constante de sa filiation. Est-il allé or,
Georgie?
« Non, mais on a retrouvé de la famille
là-bas
». Et de sortir, comme le prestidigitateur le lapin de son
chapeau, une sacoche contenant des documents en géorgien.
« J’ai essayé d’apprendre le
géorgien,
poursuit-il, un alphabet qui ne ressemble pas du tout à
l’alphabet russe. La langue géorgienne
n’a rien
à voir avec le russe ». La ressemblance entre les
signes
du livre de contre-écriture — pourtant
écrits
antérieurement — et
l’écriture
géorgienne, est frappante. Comme on pourrait faire un pont
entre
l’oeuvre et une sorte d’inspiration slave, bien
qu’Agnan Kroichvili s’en défende.
L’utilisation du procédé du triptyque,
la
succession récurrente de personnages et de visages
féminins aux silhouettes d’apôtres ce
que lui
appelle « les hommes- cierges »
,la
présence de voûtes semblant émerger
d’anciennes églises, le tout baignant dans un
univers
énigmatique. Hasard ?
Les idées du peintre s’entre choquent On sent que les mots ne peuvent pas se prononcer aussi vite que sa pensée le voudrait. Tellement de choses à dire, pour tenter de comprendre d’expliquer ce qui finalement ne s’ex plique pas. La quête de soi est tellement personnelle. On se contente d’effleurer l’indicible de soulever un voile sur une oeuvre d’une richesse exceptionnelle nourrie d’un imaginaire qui puise sa source… aux origines, qui restent encore un mystère pour lui-même, de l’artiste, Tellement de choses à dire en si peu de temps, celui d’une rencontre pour tenter, une fois de plus, de conserver une trace. La preuve d’avoir existé, un instant, pour l’éternité.
Agnès LAROSE